12

Il l’appelait. Il voulait qu’elle… Chocolat. Brun, dense, amertume douce et salée, texture élastique, on mord dedans, la salive se mêle au sucre… trop, c’est trop. Elle ne pouvait pas faire les deux, elle devait choisir. Elle pouvait dire oui ou non, elle pouvait conclure des marchés, elle pouvait choisir. Alors choisis Raef et le rêve, et oublie le reste…

Du citron. Jaune, épais, collant, sucré, acide, crémeux, en miettes minuscules, oh, oh, le zeste, la délicieuse petite pointe d’amertume, tu sens le goût, tu goûtes l’odeur, ils appellent ça les flaveurs en chimie. Oh, tout est lié, ce vieux souvenir qui déclenche cette envie de faire semblant dans la pâtisserie, « Voulez-vous qu’on vous les enveloppe ? » Jolie voix, timbre grave, l’homme avait la couleur du chocolat, une voix de chocolat, la caissière comme la crème au citron. « Oui, s’il vous plaît », avait répondu maman et…

La douleur. Qui détruit tout, déséquilibre l’harmonie comme les ronds contre les croix au morpion. Recrée l’harmonie. Élimine les ronds. Ne fais pas attention à la douleur. Bloque tes nerfs, bloque l’influx, exactement comme tu bloques ceux que Tug te défend de bouger, ceux qu’il ne faut jamais utiliser car ça pourrait tuer les Humains. La douleur est toujours là, mais refuse de l’admettre, refuse de réagir. Tu pourrais supplier que ça s’arrête. Tu pourrais dire : « S’il vous plaît, Tug, faites que ça s’arrête. Je serai gentille. » Et Tug ferait en sorte que ça s’arrête, mais il te gronderait. Plus de chocolat, plus de citron, plus de choix, plus de marchés. Ne choisis pas cette solution. Choisis plutôt la douleur, mais garde les rêves en plus. Choisis le croquant des noisettes, la cerise au marasquin, grosse et rouge et juteuse, qui dégouline et fait une tache rouge sur la crème chantilly, mange-la en premier ou garde-la pour la fin, choisis, choisis, choisis.

 

La mort était sur elle, lui appuyait les mains sur le visage, de toutes ses forces, lui arrachait la peau des os en la plaquant au fond du fauteuil. De plus, les assauts impitoyables des vibrations la secouaient comme pour la réveiller et la sortir de ce cauchemar. Connie voulait crier, mais elle n’avait pas assez de souffle.

Tout était perdu. John, la navette, Tug, l’univers tout entier était trop loin. Elle restait seule à l’intérieur de son corps. La combinaison qui l’enveloppait, le fauteuil dans lequel son corps était plaqué, étaient eux aussi des objets distants. Connie était réduite à un tout petit point qui criait à l’intérieur de son crâne, un tout petit trou dans sa gorge qui s’efforçait désespérément de reprendre son souffle. Toute seule.

Ce n’était pas juste. Elle avait déjà choisi naguère, choisi de mourir. Dans son bain chaud, avec son vieux sécateur, elle avait tailladé sa propre chair, saisi les veines mauves entre les lames incurvées et serré les poignées. Tu te souviens de la douleur ? Non, pas vraiment. Juste les nuages de sang qui tintaient l’eau chaude et s’y diffusaient. Elle laissait sa vie s’échapper, avait-elle pensé rêveusement. La laissait rejoindre le reste de la vie sur Castor, plutôt que de rester enfermée, séparée et sale dans son corps humain. La laissait retourner dans le réservoir de recyclage, pour y être purifiée et être enfin en paix avec la planète. Plus besoin d’être vigilante, de suivre toutes les règles, de faire constamment attention à ne pas perturber la vie naturelle de la planète. La libérait.

À ce moment-là, elle avait voulu mourir, et on ne l’avait pas laissé faire. On l’avait remise en vie, de force, on l’avait obligée à retrouver ce corps et à continuer. Elle s’était réveillée en disant : « Je vous en prie, je vous en prie, je veux mourir. » Mais ils n’avaient pas voulu, ils l’avaient obligée à continuer à vivre et, finalement, elle s’était aperçue qu’elle en était capable. Et ces derniers temps, elle y prenait presque plaisir. Mais à présent ils tombaient en spirale sur la planète sale où tant d’autres étaient morts avant eux et la mort la tenaillait, cherchait à la sortir de son corps. Et tout ce qu’elle voulait dire c’était : « Je vous en prie, je vous en prie, lâchez-moi. Je veux vivre. » Mais elle n’avait pas assez de souffle.

 

Tug n’avait jamais été si totalement seul.

Les Arthroplanes étaient une race grégaire. Lorsqu’un rare spécimen susceptible de tolérer la séparation se manifestait, il était systématiquement préparé à l’enkystement parasitaire d’une Anile. Ainsi plongé dans l’isolement, il pouvait se concentrer sur un sujet considéré comme digne d’intérêt. Et, à la fin de son enkystement, il pouvait rentrer dans sa colonie pour partager le fruit de ses longues recherches avec d’autres candidats à la condition de fœtus. S’il avait obtenu des résultats marquants, il était éventuellement récompensé par la fertilisation de ses segments. Et si son enkystement permettait par la même occasion un accroissement de la richesse de sa colonie d’origine, c’était encore mieux.

Telle était donc la mission de Tug et il avait cru jusque-là que tout allait bien. Peut-être avait-il été un peu trop confiant, mais il le reconnaîtrait volontiers si les Anciens le questionnaient. Un interrogatoire de ce genre ne saurait être plus sévère que les questions qu’il se posait maintenant. Était-ce la façon dont il avait contourné le règlement, son attitude cavalière envers les lois qui gouvernaient les relations d’un Arthroplane avec son Anile qui avait provoqué les difficultés actuelles ?

C’était bizarre. Il avait souvent considéré les demandes d’attention d’Évangeline comme des interruptions de sa concentration. Son besoin de compagnie était la preuve de la nature primitive des Aniles, de la simplicité de leur intelligence. Une Anile ne pouvait se distraire seule. Si on la laissait seule, elle souffrait. Une Anile avait besoin de l’Arthroplane enkysté en elle pour lui tenir compagnie. Il n’avait jamais imaginé que l’inverse pouvait également être vrai.

Tug observait la cellule que l’occupant précédent avait sculptée à l’intérieur d’Évangeline, et les alcôves qu’il avait ajoutées lui-même. L’une d’elle contenait le matériel de contrôle fabriqué par les humains qui lui permettait de contacter l’équipage dans la gondole sans avoir à passer par l’intermédiaire d’Évangeline. Une deuxième alcôve contenait les quelques objets qu’il avait fabriqués et la troisième ses tentatives artistiques, incrustées dans les parois vivantes. C’était là toute l’étendue de son domaine, en même temps que sa prison.

Le matériel qui lui permettait de parler aux humains était désormais inutile. Connie et John étaient partis dans la navette. C’est juste avant leur départ qu’il avait échangé les derniers mots avec eux. Quand il avait tenté de leur demander comment progressaient les réparations, il avait découvert qu’Évangeline avait coupé toutes les communications externes. Il soupçonnait qu’elle avait interrompu toutes les fréquences radios qui étaient les émanations normales des Aniles, coupant ainsi tout lien avec la navette et ses passagers. Et quand il avait essayé de la contacter pour lui expliquer, elle l’avait totalement ignoré. Il avait eu beau l’aiguillonner, elle avait refusé de faire attention à lui. L’effort l’avait épuisé.

Et maintenant, il avait le temps de réfléchir à son isolement. Le temps. Cela lui semblait soudain une notion fuyante. Le temps de qui ? Les brèves mesures des vies de John et Connie, ou la lente ondulation de la sienne ? Que signifiait le temps quand on était seul ? Peut-être était-ce le temps d’Évangeline qu’il vivait désormais, le temps vide qui s’étendait indéfiniment jusqu’à ce qu’un être juge bon d’y mettre fin.

Non. C’était stupide. Il n’était pas le genre de créature dépendante d’une autre pour le distraire, lui donner le sens de son identité. Non. Il était Tug. Il allait faire face à la situation et la résoudre. De toute façon, quelles étaient les conséquences les plus graves qui pouvaient en découler ?

Juste la même chose pour l’éternité. Connie et John mourraient là-bas dans leur navette, incapables de revenir sans son aide. Raef sombreraient dans des rêves de plus en plus profonds. Il ne s’apercevrait sans doute même pas quand il mourrait. Et Tug continuerait, aveuglément dépendant d’Évangeline, simple parasite comme ses ancêtres avant lui. Sauf que le cycle naturel de cette Anile avait été rompu à cause de son dressage. Elle ne migrerait jamais avec son troupeau, ne pondrait jamais d’œufs et n’emmènerait jamais ses petits sur une planète pour les y élever. Il n’aurait jamais l’occasion de sortir de son corps, de revoir ses congénères. Seul, dans le ventre d’Évangeline, il grandirait peu à peu jusqu’à ce que son corps atteigne sa taille optimale et que ses segments de reproductions soient prêts à être taillés. Et ensuite ? Il ne savait pas. Il imaginait la cellule pleine à craquer, ses segments qui grossissaient, grossissaient…

Non. C’était impossible. Il refusait cette idée. Elle se sentirait forcément seule, elle essaierait forcément de le contacter bien longtemps avant. Voilà à quoi il devait se préparer. Il fallait qu’il ait en tête un plan d’actions bien défini, qui ne laisserait aucun doute à Évangeline sur le vrai responsable. Il devait se décider tout de suite : pardonner ou punir ? Consoler ou condamner ? Il fallait qu’il décide ce qui serait le plus efficace. Il n’était plus temps de se lancer dans des tergiversations absurdes, des suppositions angoissées. Bien garder en tête qui était le maître à bord. Dommage pour les Humains, et ce ne serait pas facile de répondre d’eux. Mais ce qu’il avait appris sur les Aniles suffirait à lui assurer l’immortalité parmi les Arthroplanes. Se concentrer là-dessus, et continuer à se montrer digne de sa race.

 

[Un peu plus de tarte à la crème de banane ?]

Raef se sentait légèrement écœuré. C’est uniquement l’effet de mon imagination, se dit-il sans joie. À nourriture imaginaire, nausée imaginaire. « Non, merci, maman. »

[Elle coupe un autre morceau de tarte à la crème de banane. La soulève du moule en aluminium et la pose sur l’assiette. Elle prend sa fourchette et découpe une bouchée à la pointe. La porte à sa bouche. La déguste.]

Raef s’autorisa à laisser dériver son attention. Elle était devenue assez experte pour se débrouiller seule. C’était au moins la deuxième fois qu’elle visitait cette foutue pâtisserie de fond en comble, en pillant dans ses souvenirs si remarquablement précis. Elle avait tout enregistré, l’image, le goût, l’odeur, la texture, et même le son des beignets dans la friture, des commentaires de la vendeuse et la sonnerie du tiroir-caisse. Et elle lui avait tout repassé, en insistant pour qu’il participe. Raef ne pouvait s’empêcher de se demander quel désert était sa vie pour qu’elle s’enthousiasme à ce point sur un scénario aussi simplet.

Il se demandait aussi ce qui avait bien pu déclencher ce soudain changement.

Il avait entendu Tug qui cherchait à rentrer dans leur jeu. L’attention d’Évangeline avait vacillé, et il avait ressenti une douleur lointaine. Très cruelle, mais étouffée en quelque sorte. Une sensation particulière, qui lui avait fait percevoir l’écran qu’elle maintenait entre lui, leur jeu et cette douleur. Pour le protéger. Il ne comprenait pas, mais se demandait ce que cela signifiait pour l’équipage humain et leur mission.

Elle avait fini sa tarte à la crème de banane. Elle s’essuya les lèvres sur sa serviette, comme il le lui avait appris.

[Veux-tu un éclair, Raef ?]

Il était temps de passer à l’action.

« Non, merci, maman. Je n’ai vraiment plus faim. » Le gamin écarta sa chaise de la table de la cuisine, en faisant bien attention de ne pas renverser les boîtes de carton blanc empilées qui contenaient les pâtisseries. « Je crois que je vais aller faire une petite sieste, d’accord ? »

[Tu vas faire semblant de faire la sieste ? Je peux le faire, moi aussi ?]

« En fait, maman, j’en ai un peu marre de faire semblant. Alors, si tu me racontais ce qui se passe là-bas dans la navette, et tout ça ? »

Long silence. Trop long.

[Je n’en sais rien, donc je ne peux rien dire.]

« Comment peux-tu ne pas savoir ? »

Un frémissement d’angoisse le parcourut. Raef connaissait désormais assez les Anilvaisseaux pour savoir qu’ils communiquaient entre eux et avec les équipements de tous les vaisseaux spatiaux. Il se souvenait d’avoir entendu la comparaison avec le chant des baleines : incompréhensible à l’oreille humaine et intraduisible, mais néanmoins chargé de sens. Selon ce qu’on disait, c’était un système constant, tous les Anilvaisseaux émettaient et recevaient simultanément, et chaque Anile avait un chant distinct et des variations spécifiques de « langue ». La réception, semblait-il, se faisait sur un très large spectre et à partir de sources si diverses qu’on ne pouvait pas plus la comparer au son et à l’image qu’une image en noir et blanc au meilleur des hologrammes sensoriels. C’est de cette manière que les Aniles savaient sur quelles planètes existait une vie et si cette vie était intelligente. Et pourtant, toutes ces capacités ne pouvaient pas rivaliser avec les simples scénarios humains qu’il lui avait simulés. Il ne comprenait toujours pas ce phénomène, mais, dans l’immédiat, ce qui comptait, c’était le destin de la navette et son équipage humain.

« Comment peux-tu ne pas savoir ? », répéta-t-il.

[Je choisis. C’est moi qui choisis, alors je choisis de faire semblant. C’est mieux. Plus distrayant, plus intéressant…]

Il sentait qu’elle cherchait ses idées et ses mots.

[Délicieux. Je ne connaissais pas délicieux. Votre façon de sentir compare et établit des rapports. Relie les choses entre elles. Comme un contact délicieux avec les mains, la langue. Je n’ai pas de mains ni de langue. En faisant semblant, je connais les tiennes et c’est mieux que… que le grand espace sidéral.]

Un instant, Raef perçut l’espace à la façon d’une Anile. C’était une expérience aride, uniquement faite de vide, de subsistance, d’obstacles et d’autres Aniles. Tous ces éléments avaient une importance égale, sans relief spécifique. Comme dans un spectacle laser. Les autres Aniles étaient des compagnons potentiels de jeu et d’accouplement. Mais il n’y en avait aucun à proximité, si bien qu’il ne restait que le vide immense, une subsistance qui ne la tentait pas, et des obstacles à éviter. C’était tout. Aucune beauté pour elle dans les myriades d’étoiles, aucun émerveillement dans les distances infinies qu’elle parcourait. Même la diversité des planètes et des races qu’elle rencontrait n’éveillait en elle aucun intérêt particulier. Raef en était bouleversé, et envahi d’une profonde tristesse semblable à celle qu’il avait éprouvée quand son prof de biologie avait soutenu que les chiens ne voyaient qu’en noir et blanc. Mais du moins, Sheppie avait un odorat et une ouïe très développés qui lui permettaient une perception extraordinaire du monde que Raef ne pouvait connaître. Ces Aniles n’avaient rien. Non. Elles avaient tout, mais ne disposaient d’aucun moyen de le comparer à quoi que ce soit. D’aucun sentiment. Elles devaient compter sur d’autres sources en pour éprouver. Sur leurs Arthroplanes.

Ou sur lui.

Elle n’était pas stupide. Il en était sidéré. Il l’avait traitée comme les gens le traitaient jadis, comme si elle était simple d’esprit, ou idiote, mais ce n’était pas vrai du tout. C’était simplement que tout était nouveau pour elle. Pas seulement faire semblant, mais la totalité de l’expérience humaine : goûter, aimer quelqu’un, bavarder, vivre dans des maisons, tout. Maintenant qu’il avait compris tout ce qu’elle absorbait pour pouvoir le comprendre, une vague de terreur le submergeait. Elle était extrêmement intelligente et apprenait à toute vitesse. Il ne savait pas depuis combien d’années elle écoutait ses rêves, mais elle avait acquis les éléments essentiels de compréhension. Impossible de prévoir la rapidité avec laquelle elle allait apprendre et changer désormais.

Ou le changer.

Il avait l’impression que c’était ce qui se passait, en y réfléchissant. Deux esprits ne pouvaient fusionner aussi intimement que les leurs sans s’influencer mutuellement. Raef ne savait pas exactement quel effet elle avait sur lui, mais la colère et la frustration sur lesquelles il s’appuyait depuis des années avaient diminué. Toute sa vie, il avait compté sur sa colère et son orgueil pour le tirer d’affaire. Que lui restait-il à présent ?

[Il lui reste Évangeline.]

Super. Il était lié pour de bon à un vaisseau spatial qui pouvait lire dans ses pensées dès qu’il cessait d’y prendre garde. Comme en ce moment.

La navette !

Pendant quelques instants, il l’avait oubliée, ainsi que les deux Humains qu’elle transportait. Que s’était-il passé ? Est-ce que la panne était survenue comme l’avait prévu John ? « La navette, Évangeline. Il faut que tu saches ce qui leur est arrivé. Ils ont besoin de toi pour revenir. »

[Ça ne m’intéresse pas beaucoup. Je préfère la crème au chocolat.]

C’est tout ou rien, se dit-il, et il s’ouvrit totalement à Évangeline, lui confiant l’étendue complète de ses sentiments. Pas seulement ce qu’il éprouvait, sa soif d’héroïsme, de compagnie humaine, mais ce qu’il espérait lui faire ressentir. « Ils dépendent de nous, maman. »

Il avait l’impression d’être retourné comme un gant. Il ne se rendait compte à quel point son esprit fonctionnait à partir de l’intérieur de son corps que depuis qu’il lui était soudain arraché et lancé vers les étoiles. Il flottait au-dessus d’une vastitude inimaginable et avait l’impression que ses cellules étaient séparées et dispersées dans un être d’une minceur incompréhensible, comme si sa conscience était étalée sur l’ensemble de l’univers. Puis, juste au moment où la dernière miette de lui-même lui était arrachée, son être reprit soudain forme.

[La voilà. Nous l’avons trouvée.]

« Quoi ? »

[La navette. Elle est entrée dans l’atmosphère. Tu la vois briller ?]

Elle l’aida à la distinguer, le força de façon presque insupportable à percevoir ses dimensions, sa vitesse, sa température, sa structure, les radiations qu’elle émettait… La température !

« Mon Dieu, ils vont brûler ! Ramène-les, Évange… maman. Sauve-les ! »

[Ils ne brûlent pas. C’est le blindage qui brille en dispersant la chaleur. Mais je ne peux pas les ramener. Le mécanisme qui peut prévenir leur chute est en panne.]

« Tu ne peux rien faire pour les sauver ? »

[Les sauver ?]

« Les garder en vie. Les aider à atterrir dans un endroit sûr. » Un changement indéfinissable de sa perception de la navette s’était produit. Ce n’était plus un objet qu’il regardait, c’était devenu une extension de lui-même.

[Ils ont perdu toute capacité de manœuvrer pour changer de position. Les liens qu’ils utilisent pour commander les mécanismes qui modifient le vol de l’engin sont en panne. Mais je peux commander ces mécanismes.]

« Tu peux le faire ? »

Hésitation.

[C’est défendu. Une Anile ne doit pas le faire sans ordre du Maître. Sous peine de punition immédiate.]

« Mais ils mourront si tu ne le fais pas. »

[Cela t’inquiète ?]

« Énormément. Évangeline. Maman. Je t’en prie. Je t’en supplie. »

[La douleur sera très forte, mais je le ferai pour te faire plaisir.]

Avant qu’il ait pu réfléchir à sa réponse, elle avait agi. Tout simplement. Comme un enfant qui tend la main pour remettre à flots un petit bateau en train de couler. Un simple changement d’attitude. Si facile, et la navette lui devenait soudain plus agréable, plus harmonieuse. Raef éprouva le même soulagement que si on avait protégé sa vue d’une lumière gênante, ou si on avait éteint une lampe fluorescente qui grésillait. On avait corrigé un détail discordant.

[Où vais-je les mettre ?]

Elle avait plusieurs options, qu’elle lui montra. Une mer asséchée, la surface ventée d’un glacier, un plateau pierreux à plusieurs kilomètres au-dessus du niveau de la mer, une vaste étendue de prairie, le lit d’une rivière de plusieurs kilomètres de large et dont les eaux se perdaient vers la mer en un ancien delta…

« Celui-là, décida Raef. Le dernier. » C’était le mieux. Sol plat, eau claire, proche de l’océan pour la nourriture. Ils devraient pouvoir y survivre, sauf… « Est-ce que c’est un endroit toxique ? »

[Toxique ? Toute la Terre est toxique pour quelque chose.]

« Non, pas comme ça. » Il comprenait sa façon de voir sa planète. Les océans tuaient les poissons de rivière, les rivières tuaient les poissons de mer. Les Tropiques tuaient les ours polaires et l’Arctique gelait les oiseaux tropicaux. Ce n’était qu’un patchwork de zones mortelles, impossibles à comparer pour ceux qui ne les connaissaient pas. « Toxique pour les Humains, spécifia Raef. »

[Certainement.]

Raef entendit un vaste répertoire chimique, catalogue de tout ce qui pouvait tuer les Humains dans cette zone.

« Non, pas comme ça. Je veux dire, est-ce qu’ils peuvent survivre dans cet endroit ? Respirer l’atmosphère sans en mourir, boire l’eau de la rivière sans s’empoisonner, y a-t-il dans cette région des plantes et des animaux qu’ils peuvent manger sans danger ? »

Évangeline mit un certain temps à réfléchir à la question, et Raef trouva la réponse avant elle. Il lui était de plus en plus facile de puiser dans son stock d’informations et d’y trouver les réponses dont il avait besoin. Plus facile aussi de lui faire voir les choses comme il les voyait, et comprendre l’équilibre de son monde.

[S’ils sont prudents, ils survivront.]

« Bon sang, c’est plus que ce qu’on peut espérer sur cette planète. On n’a qu’à les installer là. »

Tels des dieux, c’est ce qu’ils firent.

Puis ils attendirent la douleur. Il la sentait crispée et ça lui faisait mal de savoir qu’elle acceptait de souffrir pour lui faire plaisir. Mais la douleur ne vint pas. [Je ne comprends pas. C’est comme s’il ne savait pas ce que j’ai fait.]

Cette idée l’emplissait d’étonnement.

 

John avait perdu connaissance. Il était en train de mourir à cause de la pression abominable et lorsque sa vision avait commencé à noircir sur les côtés, il avait plongé dans la mort avec soulagement, de tout son cœur. Mais il n’était resté inconscient que quelques instants. À moins que ce ne soit un tour que lui jouaient ses cellules cérébrales avant de mourir. Il tenta de se concentrer. Mais rien ne retenait son attention. C’était le calme total. L’obscurité. Quelques petites lueurs dans sa vision périphérique. C’était trop pénible de se retourner pour voir ce que c’était. Soit tout mouvement et tout bruit avaient cessé, soit ses tympans et son oreille interne étaient détruits. Il s’étrangla et prit conscience de quelque chose d’humide dans sa bouche, sur son menton. C’était tiède et salé. Il saignait du nez. Le sang était collant quand il chercha à avaler sa salive. Il tendit la main pour l’essuyer et se heurta à son casque. Il resta bêtement assis quelques instants, tentant de se repérer. Il était attaché, revêtu de sa combinaison. Les volets de protection recouvraient le hublot panoramique. Les lumières de la cabine étaient éteintes. Les écrans qui fonctionnaient encore indiquaient que la navette était à l’arrêt. Ils avaient atterri quelque part. La gravité était trop forte pour que ça puisse être à l’intérieur de l’Évangeline.

La Terre ? Obligatoirement. Le sang était salé dans sa bouche. Il appela : « Connie ? »

Pas de réponse. Il tenta de se retourner pour la voir et s’aperçut que le moindre effort le faisait souffrir. Il eut l’impression de mettre une éternité à se détacher de son siège. Luttant contre une claustrophobie croissante, il se força à réfléchir à l’opportunité d’ôter son casque. Sa logique n’éveilla qu’une grande lassitude. S’il n’était pas déjà mort, alors ce n’était pas d’enlever son casque qui allait le tuer. Les crochets cédèrent difficilement à ses doigts gantés. Il releva son casque et baissa la tête pour l’enlever, manquant de peu de le laisser choir. Il le cala sur le siège à côté de lui en luttant pour se remettre en position verticale. Il s’aperçut que la pesanteur était plus fatigante qu’écrasante. Un seul degré de gravité, se rappela-t-il. Il s’était entraîné pour ça, il pouvait y faire face. Peut-être.

Connie n’était pas dans la cabine de pilotage. Il se souvint de lui avoir hurlé de sortir et de le laisser tranquille si la seule chose qu’elle savait faire était de pleurer. Lui avait-elle obéi ? Il claqua le panneau de la porte qui pivota et s’ouvrit. La chaleur pénétra dans la cabine. Il regarda dans le compartiment voisin et s’immobilisa. La lumière dorée du soleil, pleine de particules de poussière dansantes, entrait dans la cabine par un hublot ouvert. Aucun signe de Connie. Les ceintures de sécurité pendaient des bras de son fauteuil. Un toboggan de débarquement d’urgence jaillissait du hublot ouvert comme une langue pendante. Le contact de son gant était rugueux contre sa peau quand il essuya le sang qui coulait, en s’efforçant de réfléchir. Une incroyable richesse de senteurs l’assaillit. Il ne pouvait en identifier aucune et se serait peut-être méfié si elles n’avaient pas senti aussi bon. Si naturelles. Je suis sous le choc, se dit-il pour se mettre en garde. Je fais des choses stupides. Cela ne semblait pas important. Il avança dans le couloir jusque sous le rai de lumière comme attiré par un fanal. Ce compartiment était effectivement plus chaud et, lorsqu’il posa le pied dans le rayon de lumière, il sentit sa chaleur comme un revêtement flexible. Il franchit la porte, posant les mains sur les bords du hublot, et regarda dehors.

Une silhouette gisait, couchée sur le côté au pied du toboggan. Il entendait à peine la sonnerie d’alerte à l’oxygène qui s’était déclenchée dans le casque de Connie.

Il n’y avait pas d’autre issue pour la rejoindre. Il essaya de ralentir sa descente en se cramponnant aux bords mais le toboggan, ayant pour but de permettre une évacuation rapide, avait été conçu pour résister à un effort de ce genre. Il atterrit brutalement sur Connie.

Il la souleva et l’appuya sur le toboggan. Puis il dut reprendre son souffle, avec cette sonnerie agaçante qui le rendait presque fou. Enlever le casque de quelqu’un d’inconscient présente un défi particulier. Non sans difficulté, il l’ôta et le laissa rouler dans la poussière et la boue tandis que ses gants ensanglantés tachaient les cheveux courts de Connie. Il s’efforça de la déposer doucement sur le toboggan mais l’inclinaison ne s’y prêtait pas. Sa combinaison ne semblait pas endommagée, mais cela ne voulait pas dire que son corps était intact à l’intérieur. Sa peau avait l’éclat pâle du plastique dans la lumière vive du soleil, mais elle respirait. Il se pencha sur elle, glissa son bras sous elle pour lui soulever légèrement la tête et les épaules.

« Connie ? »

Ses paupières s’entrouvrirent, révélant le blanc de ses yeux.

« Connie ? » Il la secoua légèrement, se demandant un peu tard s’il ne risquait pas de blesser un organe interne au cas où elle aurait des os fracturés.

Elle reprit brutalement connaissance en s’agitant frénétiquement dans ses bras. Affolé, il fit un bond en arrière et, d’un sursaut, elle se redressa en position assise. Elle regarda autour d’elle d’un air craintif, puis leva soudain les mains en se claquant les joues : « Mon casque ! Vous m’avez retiré mon casque, hurla-t-elle d’une voix perçante.

— Vous manquiez d’air », fit-il remarquer. Mais elle ne tint aucun compte de sa réponse et se précipita sur son casque. Elle le laissa tout aussitôt tomber. « Contaminé ! Il est complètement contaminé ! » Ce faisant, elle avait récolté de la poussière sur ses gants. Elle les regarda avec horreur et se mit à les frapper contre les jambières de son pantalon avec comme seul résultat de soulever un nouveau nuage de poussière. Hurlant de terreur, elle leva la main pour se protéger le nez et la bouche mais interrompit son geste. Il la vit serrer les lèvres, retenir sa respiration et retourner vers le toboggan qu’elle tenta frénétiquement d’escalader plusieurs fois sans succès. Elle avait les joues écarlates et la sueur perlait sur son visage avant qu’elle n’abandonne et ne se laisse tomber au pied du toboggan. Elle relâcha sa respiration en une explosion affolée. Elle inspira un peu d’air qu’elle expira presque immédiatement dans un déluge de mots.

« Espèce d’idiot ! Crétin ! Vous nous avez tués tous les deux ! Nous avons respiré tous les deux cette puanteur polluée ! Il fallait que vous m’enleviez mon casque, c’est ça ! » Elle montra le toboggan d’un doigt tremblant de rage : « Et je parie que vous n’avez pris aucune précaution quand vous avez ouvert la porte de la cabine de pilotage. Je parie que tout l’intérieur de la navette est totalement contaminé ! Vous nous avez tués tous les deux ! »

À mesure que les mots qu’elle lui lançait atteignaient leur but, leur vérité effrayante lui apparaissait. Il n’avait pas réfléchi. Il était trop choqué au début, puis trop inquiet pour elle. Mais au lieu d’expliquer, il rendit les coups. « Ce n’est pas moi le crétin qui ai actionné l’issue de secours et le toboggan ! C’est vous qui avez laissé pénétrer cette atmosphère dans la navette, pas moi !

— Les clignotants orange indiquaient la surchauffe !

— Et la procédure précise d’attendre qu’ils passent au rouge avant d’actionner le système d’évacuation ? Mais je suppose que soit vous l’aviez oublié, soit vous ne l’avez jamais su, soit vous vous en foutiez ! » Ses mots résonnaient froidement, séparément, sans aucune trace de la panique hystérique qu’elle manifestait. Il s’efforça de ne pas s’en féliciter.

« Je voulais juste sortir de cette foutue machine ! » Elle allait encore se mettre à pleurer. Il le voyait déjà, avant même que les larmes ne coulent sur ses joues. C’est ça qui allait les aider ! « Je ne voulais pas mourir, c’est tout !

— Et vous n’êtes pas morte, remarqua-t-il froidement. Et moi non plus. » Il reprit sa respiration et mentit : « Je savais ce que je faisais. C’est vous qui avez perdu la tête, lieutenant. Et je pourrais vous faire remarquer que vos actions sont responsables de la contamination de la navette et nous ont mis tous deux en danger. Vous pourriez donc essayer de vous contrôler et de réfléchir à l’effet que cela va produire dans votre dossier. Et au temps que vous allez devoir travailler avec moi avant de payer votre dette pour rembourser une navette contaminée. »

Ça marchait ! Elle inspira rageusement et se tut d’un seul coup. Ses yeux étaient immenses. Il était sidéré qu’une simple menace réussisse toujours à lui faire reprendre le contrôle d’elle-même. Il se demanda ce qu’elle croyait qu’il pourrait lui faire. La cour martiale se moquerait de lui s’il tentait seulement de la faire condamner. Ils ne croiraient pas une seule seconde qu’il avait gardé le contrôle total de la situation ni que sa panique à elle était injustifiée. Mais c’est ce que Connie croyait. Il voyait dans ses yeux les reproches qu’elle commençait à se faire et décida d’intervenir avant qu’elle ne soit paralysée par la culpabilité.

« Bon, si vous avez repris le contrôle de vous-même, je pense que nous ferions mieux d’essayer de nous en sortir. Vous allez remonter et voir ce qui fonctionne et estimer la gravité des pannes. Voyez si vous pouvez remettre en route l’ordinateur de bord. Il y a assez d’énergie solaire pour charger une armée de batteries. Si vous parvenez à reprendre le contrôle, rentrez le toboggan et refermez les modules de pilotage. Demandez aussi un rapport complet des dégâts et une estimation des réparations que peuvent effectuer seuls les composants biologiques. »

La succession d’ordres l’aida à se ressaisir. Elle ne cessait de hocher la tête et il la voyait prendre mentalement des notes. Elle ramassa son casque, réussit à prononcer un « oui, mon commandant, » et entreprit maladroitement d’escalader le toboggan. Ce qui avait l’air très pénible, et John se dit qu’il préférait ne pas être à sa place. À mi-chemin, elle s’arrêta et se retourna : « Vous ne venez pas ? »

Négligemment, il fit non de la tête. « Je vais effectuer une inspection des dégâts extérieurs et une reconnaissance des lieux. Au travail, lieutenant.

— À vos ordres, mon commandant. » Mais elle ne bougea pas. Agrippée avec entêtement aux bords du toboggan, elle continuait à le fixer.

« Qu’y a-t-il ? demanda-t-il, agacé.

— Vous allez vous éloigner ? Je veux dire, c’est vraiment dangereux… »

Il perçut dans sa voix comme une plainte puérile. Ce n’était pas qu’elle s’inquiétait pour lui, mais plutôt : « Si vous mourez, je me retrouve seule. » Son orgueil en fut piqué. « Tout ira bien. Laissez un canal ouvert. Voyons si nous pouvons faire fonctionner nos communications. Et, au fait, n’oubliez pas d’allumer la balise de secours si elle ne s’est pas mise automatiquement en marche. J’aimerais bien avoir des nouvelles de Tug à présent. »

Elle acquiesça vivement et reprit son ascension.

Une fois débarrassé de Connie, il avait le temps de faire le point. Il se retourna pour observer les alentours et l’énormité de la situation le frappa de plein fouet. Il n’avait pas la moindre idée de la manière dont la navette avait pu atterrir ici. Ne savait d’ailleurs pas où était cet « ici », bien que ça n’ait aucune importance. Ne savait pas même s’ils survivraient plus d’une journée dans un endroit aussi hostile.

Et soudain il oublia tout en regardant le ciel ouvert. Il était sur une planète vivante. À l’extérieur. Voilà ce que signifiait être à l’extérieur. Il avait cru qu’un abandon total de protection serait terrifiant. Au contraire, il trouvait cela exaltant.

L’étrangeté absolue de la Terre le sidérait. Il s’était attendu à ce qu’elle ressemble aux vidéos de Castor et Pollux. Pas du tout. Elle ne ressemblait même pas aux hologrammes d’autres planètes où vivaient d’autres espèces intelligentes. Toute la poésie ancienne qu’il avait lue sur la beauté de la Terre ne l’avait pas préparé à ce qu’il voyait.

À perte de vue s’étendait une plaine inculte de terre rouge et de buissons gris-vert. La richesse des parfums était presque palpable. De temps en temps, l’air s’animait doucement mais le souffle était trop léger pour rafraîchir sa peau. Il ne voyait aucune fleur aux doux pétales multicolores, ni de ruisseau riant ni de grands arbres verts, aucun lapin aux longues oreilles et à la queue blanche folâtrant dans l’herbe verte. Rien qu’une terre rouge et caillouteuse et des végétaux d’apparence desséchée, écrasés de soleil. La végétation était décevante, poussant çà et là sans aucun ordre ni symétrie, rampante ou dressée, ou se ramifiant au hasard dans toutes les directions. Un examen prudent révéla que les éléments n’étaient même pas tous de la même variété, mais visiblement un nombre de plantes différentes qui poussaient à une proximité surprenante les unes des autres. Il n’arrivait pas à comprendre comment tant de variétés de plantes pouvaient se développer au même endroit. Ce n’était pas comme s’il y avait une transition, et qu’une espèce cède la place à une autre, comme les arbres cinbars qui poussaient sur les collines de Castor jusqu’à la limite de la plaine, où les remplaçait l’herbe calla. Non, il s’agissait d’un seul type de sol et d’un seul type de terrain, envahi par au moins trois, peut-être même cinq espèces différentes de plantes. Il en repéra encore une. Six. Six espèces de végétaux au même endroit. Qui poussaient pratiquement les uns sur les autres. Les plantes mortes à côté des vivantes. Toutes en compétition pour les mêmes nutriments, l’eau et la lumière. C’était incompréhensible. Comment chacune pouvait-elle survivre là où tout le reste semblait décidé à l’étouffer ? Il avait appris à réciter comme un perroquet les principes de l’évolution compétitive, mais n’avait jamais réussi à saisir ce que c’était.

Il était atterré. Et, en ce moment même, le principe s’appliquait autant à lui qu’à toutes les feuilles de la végétation environnante. Il se retrouvait au beau milieu de l’implacable environnement compétitif qui avait engendré ses ancêtres. La survie du plus fort, avec tout ce que cela impliquait, était la loi régnante sur ce qui l’entourait. Et qui pouvait l’engloutir. Il détourna le regard du terrain aride pour revenir à la navette. C’était maintenant son seul espoir et son seul souci. Il refusait d’envisager toute idée de Terra Affirma et de leur mission ridicule. Leur fameuse capsule-temps pouvait être n’importe où sur la terre et seule la coïncidence la plus invraisemblable la situerait à portée de la navette. D’ailleurs, même si elle s’était trouvée à ses pieds, il n’aurait pas pris la peine de la ramasser. Ils l’avaient mis dans un vrai pétrin. « Un dysfonctionnement mineur qui servirait d’excuse pour atterrir sur la planète. » Voilà ce qu’ils lui avaient promis. Il regarda le résultat et ne put retenir un juron.

Il fit le tour complet de la navette. Ce n’était pas si grave que cela aurait mérité d’être. Évidemment, c’était une sacrée bonne navette. Terra Affirma avait été honnête sur ce point-là, au moins. Elle avait bien négocié les inégalités de ce terrain d’atterrissage improvisé. Un décollage était peut-être possible à partir du même endroit. Il observa à nouveau son aéronef. Le blindage portait de nombreuses éraflures évidentes. Il allait devoir vérifier certains endroits de plus près, mais la plupart semblaient réparables grâce à une vaporisation cicatrisante sur la structure biocellulaire. À condition d’avoir du produit cicatrisant en quantité suffisante. C’était en général considéré comme un traitement ponctuel pour effectuer de petites réparations, mais pas comme une solution d’ensemble.

Il leva sa main gantée pour tâter le sommet de son crâne dénudé. Il avait intérêt à se couvrir la tête s’il restait quelque temps dehors. Pas avec le casque, qui était trop lourd. Mais il garderait sa combinaison, pour une protection maximale contre les agressions éventuelles.

Une ombre balaya le sol. Il mit un instant à établir le rapport, à lever les yeux et déceler l’animal en vol au-dessus de lui. Il était petit, à peine un tiers de sa propre taille. Un véritable animal. Un oiseau, décida-t-il, à cause des ailes. La plupart des oiseaux avaient des ailes, selon ce qu’il se rappelait. Pendant une seconde, le choc l’empêcha de réagir. Puis : « Hé ! appela-t-il, espérant que son ton paraîtrait amical. Hé, bonjour ! » Mais l’oiseau continua à planer comme s’il ne l’avait même pas entendu. C’était normal qu’il ne l’ait pas compris. Il savait que les animaux n’avaient jamais été assez intelligents pour parler une langue. Mais sans aucun doute, toute créature vivante et mobile aurait assez de conscience pour se rendre compte que la navette n’était pas d’ici et devait par conséquent avoir des problèmes. Peut-être l’oiseau ferait-il demi-tour pour essayer de leur venir en aide.

Mais non, il poursuivait son vol. Il le regarda un moment s’éloigner, se demandant pourquoi il ne s’était même pas arrêté. Puis la réponse lui vint, évidente. Il croyait qu’il allait le suivre. Il plissa les yeux pour scruter dans cette direction. Des cailloux rougeâtres et des plantes gris-vert à perte de vue, mais il distinguait sur la ligne d’horizon un changement indéfinissable qui trahissait un soudain dénivelé ou un ravin. Peut-être y avait-il quelque chose là-bas.

Il jeta un coup d’œil à la navette, mais se trouva immédiatement une justification en se mettant en route. Il ne serait pas parti longtemps. Et Connie savait exactement ce qu’elle avait à faire, ce qui était essentiel. On n’avait pas besoin de lui pour le moment, et c’était lui le capitaine. C’était à lui de prendre ces décisions.

Il chercha son guide du regard, mais l’oiseau était déjà hors de vue. Il ne pouvait pas être loin, en ce cas. Il hâta le pas pour rattraper la petite créature.

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